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Mutations culturelles et réseaux
de coopération
Raymond Weber
Directeur de l'Education, de la Culture et du Sport
Conseil de l'Europe
J'ai tenu à être parmi vous
pour différentes raisons. Il était pour moi important
de venir à cette première réunion des réseaux
au niveau mondial parce que je suis profondément convaincu
que ce qui se passe d'essentiel aujourd'hui dans la culture et
dans la coopération culturelle, se passe non pas dans les
ministères, non pas dans les grandes institutions culturelles,
mais se passe à travers les réseaux tels que ceux
que vous représentez. Je suis heureux d'être ici
pour rendre hommage au nom du Conseil de l'Europe pour le travail
extraordinaire que fait l'équipe de Culturelink depuis
un certain nombre d'années. Nous connaissons la situation
difficile qui a été celle de l'équipe pendant
une période difficile pour l'ensemble de la Croatie mais
nous savons aussi tous que c'est grâce au dynamisme et à
l'engagement de toute l'équipe que finalement une réunion
peut avoir lieu et que les liens entre nos réseaux peuvent
continuer à se développer.
***
1. Le contexte socio-culturel
L'Europe post-1989 et post-Maastricht
est une Europe des contrastes:
elle a pu se réconcilier avec elle-même, en supprimant définitivement les frontières
idéologiques et en redevenant consciente de sa "communauté de destin" (Edgar Morin), dans le respect des droits de l'homme et de la démocratie.
Mais le vide idéologique post-communiste d'une part, et
le malaise de civilisation post-moderniste d'autre part favorisent
une perte de sens et de repères qui peuvent conduire à
une quête irrationnelle d'identité, de repli sur
soi et sur sa communauté culturelle et de rejet intolérant de l'Autre. Comme le craint le politologue américain Samuel Huntington: "En Europe, le rideau de velours de la culture a remplacé le rideau de fer de l'idéologie en tant que principale division de l'Europe". La globalisation grandissante de l'économie aura-t-elle comme contrepartie la fragmentation accrue des solidarités?;
ces dernières années,
d'énormes progrès ont été accomplis
en matière de compréhension mutuelle entre les peuples
et de coopération culturelle européenne.
Mais les belles théories d'un "nouvel ordre mondial"
et de "la fin de l'Histoire" (Francis Fukuyama) se sont
révélées vaines, et les projets d'échanges
culturels et de coopération culturelle transfrontaliers
butent souvent sur des problèmes de visas, des déficiences structurelles (surtout au niveau des Etats et des organisations intergouvernementales) ou des difficultés financières. La frontière, au lieu de constituer un pont, un lien, avec une culture différente, reste encore trop souvent, pour des raisons tant d'affirmation identitaire que de difficultés économiques, une barrière largement indépassable;
dans les quartiers de nos villes, dans
nos banlieues métissées, dans nos régions,
nous constatons une extraordinaire créativité artistique
et culturelle. Un nouvel écosystème culturel semble
se mettre en place, avec une culture en profonde mutation, et
qui passe du déterminé au flou, de l'unique au multiple,
de la racine à l'interculturel, du territoire au réseau,
du statique au changement, du produit au processus, de l'éphémère au durable.
Mais nos décideurs politiques semblent manquer des paradigmes
nécessaires à la compréhension de cette mutation
et des structures adéquates pour soutenir cette culture
plus désinstitutionnalisée, plus multipolaire, plus
axée sur la demande que sur l'offre. Ils semblent surtout
être ballottés entre une conception "instrumentalisante"
de la culture (au service de l'intégration sociale, de
la lutte contre l'intolérance, d'intérêts
économiques et touristico-commerciaux) et une vision qui
fait de la culture un espace de liberté, de parole critique,
de création, de confrontation et de contestation.
2. Les grands défis
Je voudrais en esquisser brièvement
trois, qui me paraissent plus particulièrement importants
aujourd'hui:
la gestion du pluralisme culturel.
La multiculturalité est devenue une réalité
partout en Europe: au niveau de la Grande Europe et de l'Union
Européenne, au niveau de chacun de nos Etats ou pays, dans
nos régions, dans nos villes et quartiers, voire au plus
profond de l'identité culturelle de chacun d'entre nous.
Les migrations, la multiplication des échanges, la circulation
croissante des hommes et des idées ont mis à mal
nos conceptions traditionnelles de l'identité, conçue
de manière homogène et totalisante, qu'elle soit
relative à un individu ou à un groupe.
Si l'identité culturelle recouvre la manière dont
les individus et les communautés se pensent et se définissent
dans leurs ressemblances/différences avec d'autres individus
et communautés, si elle se réfère à
la fois à des racines, à un patrimoine, à
une mémoire, mais aussi à un processus de développement
de valeurs et un projet commun sur l'avenir, il est dès
lors indispensable de la réfléchir de façon
plurielle et dynamique et de la concevoir non comme un problème,
mais comme un enrichissement.
Il convient donc de construire, de développer et d'apprendre
les moyens de vivre ensemble cette pluralité des cultures
auxquelles chacun participe dans des sociétés elles-mêmes
pluriculturelles.
La démarche interculturelle que préconise le Conseil
de l'Europe est à la fois une démarche intellectuelle
(réflexion sur les notions d'identité, de nation,
de communauté), une démarche normative (définition
de "droits culturels" et d'objectifs, acceptés
par la communauté internationale, pour les politiques dans
les domaines de la culture, du patrimoine culturel et de l'éducation)
et une démarche opérationnelle (mise en place de
"mesures de confiance" interculturelles);
l'impact culturel de la société
de l'information. Digitalisation, numérisation, compression
des données, multimedia, réalité virtuelle,
autoroutes de l'information, interactivité, cyberespace:
autant de développements techniques qui amèneront
une mutation culturelle radicale et nous confronteront avec de
nouvelles figures du savoir, de nouvelles façons d'être
soi et d'être ensemble, de nouvelles manières de
créer et de communiquer. Selon Joel de Rosnay (L'Homme
symbiotique), le résultat en sera "une forme de culture
à la fois personnalisée et globale, individuelle
et collective, respectant les diversités et les densités
temporelles de chacun (...) La culture encyclopédique de
"l'honnête homme" fera place à la culture
fractale de l'homme symbiotique".
En instituant un nouveau rapport à l'espace et au temps,
en accroissant le rôle de l'immatériel, du virtuel
et du savoir, en créant un espace de créativité
et d'imaginaire politique sans équivalent, capable de résister
aux logiques de la compétition, du consumérisme,
du profit pour le profit, ces nouvelles technologies de la communication
peuvent faire émerger des valeurs nouvelles: des valeurs
de citoyenneté et de responsabilité, de solidarité
et de pluralisme. Mais elles peuvent aussi renforcer les logiques
de compétitivité et de rentabilité, introduire
une communication "à deux vitesses", commercialiser
complètement tant la création artistique que les
réseaux de solidarité sociale.
la multipolarité de la coopération
culturelle et un nouveau partage des responsabilités. Le
champ de la coopération culturelle européenne est
devenue définitivement multipolaire. En plus des institutions
intergouvernementales et des Etats-nations, y interviennent: les
pouvoirs publics aux niveaux régional et local, les grandes
institutions culturelles et les universités, les industries
culturelles et les médias, les organisations non-gouvernementales,
les associations professionnelles d'artistes, les fondations,
et surtout les innombrables réseaux de tout ordre qui se
sont constitués au fil des ans.
Malgré cette évolution, les structures de la coopération
culturelle européenne restent étonnamment figées:
les accords culturels continuent à fonctionner comme au
temps de la guerre froide, les instituts culturels à l'étranger
restent largement nationaux et les processus décisionnels
dans les grandes organisations européennes demeurent prisonniers
de l'intergouvernemental.
Il convient aujourd'hui d'inventer un nouveau partage des responsabilités:
au niveau des Etats, entre ce que fait l'Etat, les autres pouvoirs
publics, le secteur marchand et la "société
civile". Au niveau européen, entre ce que fait le
Conseil de l'Europe, l'Union Européenne, les grandes entreprises
et médias transnationaux, les pouvoirs publics nationaux,
régionaux et locaux, les organisations non-gouvernementales
et réseaux européens.
3. Les réseaux
Comme le souligne Jean-Marie Guéhenno
(dans "La fin de la démocratie"): "L'essentiel
n'est plus de maîtriser un territoire, mais d'accéder
à un réseau". Mais qu'entendons-nous par "réseau"?
Le réseau est d'abord un ensemble
de partenaires. Quelle que soit son origine, il doit présenter
une dynamique transversale fondée sur des pratiques d'acteurs
issus souvent de groupes sociaux culturels divers, en vue de la
réalisation d'un projet commun. Le réseau doit donc
fonctionner sur un mode horizontal, non hiérarchique, où
chaque acteur est bénéficiaire de l'échange.
Mais il doit exprimer une volonté commune.
Le réseau doit rechercher une
identité culturelle qui lui soit propre, mais une identité
non figée, ouverte au changement et aux autres.
Le réseau doit favoriser des rencontres
et des échanges permanents entre les différents
acteurs et viser des coopérations transfrontalières
et multiplicatrices.
Le réseau doit, enfin, décentraliser
les responsabilités sur le plus grand nombre possible de
ses membres. Dans un fonctionnement démocratique à
taille humaine, chaque partenaire doit pouvoir y trouver une spécialité,
une identité, un rôle qui valorise son apport spécifique
dans la mise en commun des actions.
Les réseaux que nous connaissons
actuellement dans le domaine culturel, qu'ils soient formels ou
informels, répondent sans doute le mieux au triple défi
dont je viens de parler: défi de la multiculturalité,
défi de la société de l'information, défi
d'un nouveau partage des responsabilités dans la coopération
culturelle européenne. En apportant un gain "en matière
d'identité (appartenance), de communication (efficacité),
d'information (richesse et pertinence), de status (reconnaître
les autres et être reconnu), de relations (étendue
et qualité des échanges)" 1, d'échanges de service et de coproduction,
les réseaux favorisent les démarches interculturelles,
relient les individus aux systèmes, décloisonnent
les projets, les idées et les hommes, promeuvent les flux
d'information et d'échanges, induisent de nouvelles méthodes
et structures de la coopération européenne.
Leur existence (malgré leur difficulté
d'inscrire dans la durée des initiatives qui ne disposent
pas des moyens bureaucratiques ou financiers de la continuité),
leur "biodégradabilité" (qui fait que
la vie du réseau ne dépend pas d'une structure,
mais du désir de coopérer, de la volonté
d'être et de faire, plutôt que de l'avoir), leur dimension
transfrontière et transversale, leur fonctionnement démocratique,
entre partenaires égaux, leur interaction grandissante
font désormais des réseaux culturels européens
des partenaires privilégiés des organisations européennes.
Mais la question se pose: N'avons-nous
pas besoin, aujourd'hui, d'une "charte de la coopération
culturelle européenne", d'une sorte de nouveau contrat
culturel entre les organisations intergouvernementales et les
pouvoirs publics d'un côté, les fondations, les organisations
non-gouvernementales et les réseaux de l'autre?

La mise en réseau des
cultures et les défis de Culturelink
Biserka Cvjeticanin
Coordinatrice du Réseau Culturelink
Chercheur scientifique, IRMO, Croatie
La fin de notre siècle est marquée
par une tendance planétaire orientée vers la communication
interculturelle où précisément les réseaux
sont appelés à jouer un des rôles majeurs.
Le syntagme "la mise en réseau des cultures",
networking of cultures, comporte trois volets, à
savoir: culture, communication et nouvelles technologies. A travers
l'organisation en réseau les nouvelles technologies modifient
les modes de communication des contenus culturels. Le long de
l'histoire les modes de communication ont subi des transformations
essentielles et radicales (développement de la langue,
art rupestre, développement de l'écriture, de la
presse, des mass média...), mais la communication a toujours
stimulé la création de nouvelles connaissances,
la formation de nouvelles valeurs.
Toutes les sociétés, de
manière différente, s'incorporent à la communication contemporaine. Dans une large mesure, la transformation des sociétés
et des cultures est due à l'influence des nouvelles technologies
de communication. L'époque que nous vivons est définie
comme société de l'information et de la communication
dont tous les segments seront bientôt reliés entre
eux par les autoroutes de l'information. Un tel processus de liaison
mène-t-il à une plus grande homogénéité,
à "la fin" des différences ou au contraire,
à une entière reconnaissance des différences
des cultures? Une mutation de civilisation en résulte et
nous en sommes les témoins.
Les cultures sont, donc, de plus en plus
mises en réseau informatique. Il est bien connu que le
dialogue culturel dans le monde actuel se déroule dans
le climat d'un grand déséquilibre ou sous le signe
d'un véritable fossé en matière d'échange
d'informations entre les "info-riches" et les "info-pauvres".
La globalisation technologique universelle traduit les positions
qui y sont occupées respectivement par les sociétés
très avancées, par les sociétés en
transition et par celles en développement. Cependant, la
totalité de leurs rapports, c'est-à-dire les rapports
internationaux sont aujourd'hui marqués par l'activité
des réseaux. Grâce à la mise en circulation
de différentes idées et expériences, c'est
à travers les réseaux que se réalisent de
nouveaux modes d'interaction et de participation. Au moyen des
réseaux, les sociétés et les systèmes
de production différents peuvent s'insérer dans
la communication - bien entendu à des niveaux dépendant
de leur degré de développement - et bénéficier
précisément de ses avantages: circulation décentralisée
des informations et l'absence de structures rigides institutionnelles
ou autres. Dans ce sens, les réseaux peuvent être
considérés comme signe paradigmatique de la nouvelle
culture.
Il s'ensuit que la plus grande portée
du réseau consiste à permettre un dialogue culturel
interactif ou "la mise en réseau des cultures"
où chaque culture pourra garder sa spécificité.
Il est indispensable d'y insister vu que beaucoup considèrent
le réseau comme une espèce de "communauté
cybernétique", en rejetant les signes traditionnels
de reconnaissance - telle appartenance nationale ou ethnique,
valeurs culturelles spécifiques etc. - et se proposant
de créer une "civilisation de l'esprit dans le cyberspace".
La mise en réseau des cultures
entraînera-t-elle une nouvelle dynamique culturelle? Les
nouveaux modes de liaison et de collaboration sur le plan global
sont les sources d'une nouvelle dynamique culturelle. La vie culturelle
se désinstitutionnalise de plus en plus et les partenaires
non gouvernementaux ont un rôle de plus en plus grand dans
le développement culturel à tous les niveaux: local,
régional, national, interrégional et mondial. Dans
les rapports internationaux les réseaux introduisent de
nouvelles idées et méthodes de travail fondées
sur la décentralisation et la non institutionnalisation,
c'est-à-dire sur la non existence de structures fermes.
Avec leur ouverture, leur approche non-hiérarchique et
horizontale, avec leur flexibilité et leur dynamique immanente,
les réseaux stimulent l'échange des valeurs culturelles
et la communication culturelle internationale.
Culturelink est un tel réseau.
Culturelink est un réseau global dans la culture et comme
tel exposé à beaucoup de défis.
Tout d'abord, ce réseau des réseaux
vit, il fonctionne et assure une communication et un échange
permanent d'informations culturelles entre ses membres. Il faut
le souligner parce que quand l'UNESCO et le Conseil de l'Europe
ont créé ce réseau en 1989 lors d'une réunion
des représentants des réseaux régionaux et
sous-régionaux dans le domaine du développement
culturel, et ont désigné l'IRMO à Zagreb,
Croatie, comme porteur de ce projet, ils ne pouvaient savoir que
ce pays traverserait bientôt une tragédie, une guerre.
Dans ces conditions extrêmement difficiles, le réseau
a réussi à se développer et le nombre des
membres à s'accroître - de trente membres en 1990,
à presque mille en 1995, répartis en 97 pays dans
tous les continents. Comme l'UNESCO et le Conseil de l'Europe,
ces membres apportaient leur soutien au réseau, l'encourageaient
dans l'effort de développer ses activités malgré
la destruction, malgré la guerre. C'est une expérience
que les autres réseaux qui existent dans le monde n'ont
pas vécue.
Le deuxième défi était
comment développer un réseau des réseaux
dans le domaine du développement culturel qu'est Culturelink,
comment assurer une communication interculturelle à travers
le monde. Aujourd'hui, cette communication interculturelle se
présente sous les trois aspects suivants: recherches conjointes,
par exemple les politiques culturelles dans le monde; développement
des bases de données pour le développement culturel
et leur transmission sur l'Internet qui est surtout utilisé
par les universités et les instituts de recherche et qui,
par son caractère non commercial, peut devenir le point
vital d'une "autoroute de l'information"; la revue
Culturelink, qui paraît tous les trois mois sur 200
pages, comprenant une abondance d'informations utiles.
Un troisième défi: ce réseau
est hétérogène, j'emploie ici à dessein
ce mot d'origine grecque signifiant la différence, la diversité.
Le réseau comprend des pays de divers degrés de
développement, ceux qui sont développés et
ceux en voie de développement, ce qui implique qu'il doit
rendre possible différents modes de communication pouvant
satisfaire tous les participants, sans égard à la
différence de leur infrastructure technologique, par exemple,
aussi bien les participants de certains pays africains qui ne
font pas encore partie de l'Internet que ceux où l'Internet
est en service quotidien. Ensuite, il englobe des sociétés
et des individus qui appartiennent à divers milieux culturels
et de civilisation, et qui apportent au réseau leurs propres
connaissances et réflexions sur la culture et le développement.
Enfin, le réseau est hétérogène aussi
parce qu'il comprend différentes institutions - universités,
instituts de recherche, ministères de culture, centres
culturels, associations d'artistes, musées, théâtres,
maisons d'édition, organismes audiovisuels et avant tout,
en tant que réseau des réseaux, différents
types de réseaux. Il comprend aussi les professions les
plus diverses, depuis les savants et les chercheurs jusqu'aux
hommes travaillant dans les films, les médias et le management
culturel. Ce qui les réunit tous, ce en quoi ils trouvent
un intérêt commun et ce qui fait leur projet commun,
c'est la problématique du développement culturel,
tandis que leur hétérogénéité
contribue à l'abondance d'idées et à la dynamique
de la communication. Peut-être qu'à certains participants
cette première conférence mondiale de Culturelink
apparaîtra-t-elle comme trop diverse, mais elle reflète
le caractère-même du réseau dans lequel la
diversité est implantée.
Encore un défi, c'est la décentralisation
de Culturelink, la nécessité d'avoir des focal
points dans d'autres continents qui pourraient sans doute
améliorer encore la communication, la dissémination
des informations ainsi que fortifier les objectifs orientés
à construire une société meilleure, sans
aucune exclusion ou restriction. Dans ce contexte, Culturelink
est ouvert aux changements et répond aux défis.
Il appartient aux "armes miraculeuses" - expression
prise du titre d'un livre du grand poète martiniquais Aimé
Césaire - que représentent les réseaux en
reliant les individus, les groupes, les nations, les sociétés
globales et en travaillant au dialogue des cultures.

Réseau Culturelink et
coopération culturelle
Maté Kovács
Section de la Dimension culturelle du développement, UNESCO
C'est une occasion extraordinaire pour
nous d'être ensemble et de revoir, six ans après
la création de Culturelink, quels étaient les résultats et ce qu'on pourrait mieux faire, quel projet nous avons pour l'avenir, comment nous pourrions améliorer notre collaboration.
Ce sont les questions auxquelles j'aimerais
vous demander d'essayer de répondre et auxquelles je me
propose de répondre en procédant à une analyse
du réseau Culturelink, le cas échéant critique,
ou auto-critique, car nous ici sommes partenaires dès le
début et nous sommes directement concernés par les
succès et par les faiblesses de ce réseau. D'ailleurs,
nous pouvons faire cette analyse sans trop de risque car le résultat
est formidable. Tout le monde est conscient que le chemin en parcours
est très court encore. On peut constater cependant que
l'évolution de Culturelink était très positive
et son extension s'est faite en un temps record. Prenons comme
exemple un des produits les plus visibles du réseau, le
bulletin qui malgré toutes les difficultés qu'on
connaît a été publié avec une régularité
exemplaire et aussi avec un contenu de plus en plus riche, avec
des rubriques de plus en plus variées. C'est à l'aide
de vos contributions et de vos demandes que cela a pu se faire.
Ainsi le bulletin nous fournit de plus en plus d'informations
très utiles: des adresses permettant aux membres des réseaux
d'établir les liens, les dossiers avec des documents de
réflexion et de substance, ou encore les informations sur
les activités et événements réalisés
et prévus.
Il y a d'autres produits concrets, notamment
les bases de données qui sont déjà très
performantes. Bien sûr, ces genres de projets ne se construisent
pas en un an ou en deux ans. Ils se créent, ils se perfectionnent
et se complètent sans cesse. Ce qui est le plus difficile,
c'est de les tenir à jour et ce n'est qu'en collaboration
avec vous que cela peut se réaliser, parce que grâce
à vos informations, à vos documents, ces bases de
données peuvent être fonctionnelles, opérationnelles
et pertinentes à la réalité.
Ces résultats visibles de Culturelink
- on peut citer les quinze numéros du bulletin, les quatre
numéros spéciaux, on peut consulter ce répertoire
formidable des bases de données, on peut avoir accès
aux bases de données sur l'ordinateur - ne permettent pas
de voir ce qui les a permis d'obtenir: c'est le travail quotidien
qui est l'âme de ce réseau. C'est la correspondance
abondante qui arrive à l'IRMO et les réponses qui
vous parviennent par retour du courrier, c'est cet échange
quotidien qui est à souligner et qui ouvre la possibilité
de la co-production. Bien sûr, il y a beaucoup de choses
à améliorer dans ce domaine: l'IRMO et l'équipe
de Culturelink supportent encore le plus gros du poids de cette
collaboration. Mais justement c'est une occasion pour nous de
discuter comment on pourrait mieux répartir les tâches
et développer cette collaboration à deux sens. Devant
ces résultats et cette réalisation je dois remercier
l'équipe de Culturelink ainsi que l'IRMO, le Ministère
de la Culture et le Ministère de la Science et de la Technologie
de la Croatie qui ont apporté un grand appui par ces temps
difficiles à la création de ce réseau, en
suivant les recommandations de la Consultation interrégionale
des réseaux de recherche et de coopération en matière
de développement culturel tenue en 1989 à Paris.
C'était une chance formidable de trouver un partenaire
- un pays, une institution, une équipe qui acceptaient
de relever ce défi en se chargeant de ce travail très
enrichissant mais aussi très difficile. Nous pouvons dire
que cette réunion, votre présence et le travail
réalisé prouvent que c'était vraiment une
initiative qui correspondait à un besoin réel, mais
fallait-il encore la mettre en oeuvre.
Au cours du débat nous avons parlé
de certains critères d'un vrai réseau. J'essayerai
de les prendre un par un et d'expliquer comment j'en vois la réalisation
dans notre réseau et le résultat de notre expérience.
Premièrement, pour ce qui concerne Culturelink, dont le
but est de promouvoir l'information et la coopération en
matière de développement culturel, son objectif
est clair, son profil aussi. Mais ce réseau élargit
également son intérêt à d'autres domaines.
Car on ne peut pas ignorer les liens avec d'autres domaines. Comment
pourrait-on comprendre, par exemple, les problèmes du développement
culturel sans être attentif à ce qui se passe dans
les domaines de la communication et de l'éducation, ou
encore sur le plan de la réflexion générale
des problèmes du développement. Et cela nous amène
déjà au deuxième critère, c'est-à-dire
à la nécessaire approche interdisciplinaire. On
peut considérer que Culturelink répond bien à
cette exigence. Cependant, j'ai l'impression que dans la sélection
des informations notamment pour les répertoires on devrait
être plus sélectif.
Le troisième critère concerne
l'intérêt commun et je pense que cela se manifeste
assez clairement au niveau de Culturelink. Nous avons des horizons
différents mais - malgré nos diversités -
l'intérêt commun est apparu clairement dans les discussions.
Il en apparaît qu'au-delà du développement
culturel, l'objectif ultime du réseau est de contribuer
à un développement humain, durable et intégré.
Il y a quelques critères par rapport
auxquels le bilan de Culturelink est moins positif. Par exemple
la question des statuts qui se pose pour tous les réseaux.
Culturelink, comme la plupart des réseaux, est vulnérable,
parce qu'il n'a pas de statut juridique. Il est constitué
de gens qui souhaitent bien travailler ensemble. Et c'est déjà
formidable. Mais dans les contacts avec les institutions, telle
que l'UNESCO, cette absence de statut juridique peut créer
des difficultés. Bien sûr, nous avons une excellente
coopération avec la Commission nationale croate pour l'UNESCO
qui nous aide et qui sert d'intermédiaire. Mais dans un
pays qui affronte tellement de difficultés n'y a-t-il pas
d'autres besoins, plus pressants qu'il faudrait peut-être
satisfaire à travers les possibilités que l'UNESCO
peut offrir à un Etat membre? Il faudrait donc trouver
une solution pour que l'IRMO/Culturelink puisse directement compter
avec le soutien de l'UNESCO, du Conseil de l'Europe et de l'Union
européenne (Programme Kaléidoscope). Est-ce que
l'IRMO ou Culturelink ne pourraient pas devenir une ONG ou une
fondation? Il faudra étudier les avantages et les inconvénients
des différentes solutions. En ce qui concerne son envergure,
Culturelink est très représentatif; mais est-ce
que cette représentativité est reconnue par les
institutions? On pourrait peut-être formuler des propositions
à ce sujet à partir de sa propre expérience.
Il y a aussi un autre point de vulnérabilité
et fragilité qui est assez lié à la même
question. Il s'agit du financement qui constitue un problème
pour tous les réseaux. Je suppose qu'en institutionnalisant
ses relations avec les grandes institutions comme l'UNESCO, Culturelink
pourrait remédier au moins partiellement à ce problème.
Si vous souhaitez obtenir ce soutien de l'UNESCO, vos délégations
ont la possibilité de proposer à la Conférence
générale que le projet Culturelink figure dans le
programme de l'UNESCO.
En revenant à la question de la
représentativité, nous savons que les contacts avec
certaines régions sont beaucoup moins développés.
C'est pourquoi l'idée est venue de créer des centres
sous-régionaux de Culturelink. L'idée figurait déjà depuis quatre ans dans notre programme à l'UNESCO, mais comme les fonds étaient limités, on n'a pas pu avancer. C'est cette idée encore qui resurgit maintenant au Canada, avec le projet d'y créer un bureau régional de Culturelink.
Il sera bon de voir si, à travers les différentes
régions, on peut trouver et identifier des partenaires
qui ont la capacité de servir de plate-forme pour la collecte
et la diffusion des informations ainsi que pour l'organisation
de la coopération avec Culturelink dans leur région.
Donc, nous pourrions réfléchir
sur l'opportunité et les modalités de consolider
la structure de Culturelink et d'assurer son financement. Y a-t-il
d'autres manières de diversifier les sources de financement,
de les institutionnaliser pour les rendre plus sûres? Est-ce
qu'il y a une possibilité de partage des charges? Par exemple,
y a-t-il des possibilités de commercialiser les produits
de Culturelink sans perdre les contacts dans les pays en voie
de développement et peut-être même en Europe
de l'Est où la plupart de partenaires ne peuvent pas se
permettre de participer aux frais? Est-ce qu'il n'y a pas de possibilité
de développer des liens de solidarité ou de jumelage
entre institutions dans les différentes régions?
Géographiquement la couverture de Culturelink est très
large, mais du point de vue linguistique, elle est limitée
car ses moyens ne lui permettent pas la publication de ses ouvrages
en français ou en espagnol, voire en russe, alors que ce
serait très important. Si vous avez des capacités
ou bien des idées concernant des partenariats qui permettraient
la publication et la diffusion de Culturelink dans une
autre langue que l'anglais, ce sera une aide pas seulement pour
Culturelink, mais aussi pour tous ceux qui pourraient bénéficier
de cette extension de services.
Tout en gardant à l'esprit le
réalisme nécessaire dans nos projets, il faut réfléchir
sur des nouvelles orientations et sur ce que Culturelink pourrait
faire de plus et mieux: des éditions dans d'autres langues,
mais aussi des recherches conjointes par exemple sur les changements
culturels ou sur le financement à travers de différentes
régions.
A ce propos j'aimerais rappeler qu'il
y a quelques années, l'UNESCO a fait élaborer une
étude sur les modèles de financement dans le domaine
de la culture, mais on n'avait pas accès aux informations
concernant toutes les régions. Maintenant quand nous disposons
d'un partenariat dans toutes les régions, cette étude
pourrait être mise à jour et complétée.
D'autres possibilités pourraient être envisagées
dans le cadre du suivi du rapport de la Commission mondiale de
la culture et du développement ou encore au titre du programme
des chaires UNESCO. A ce sujet j'aimerais rappeler que Culturelink
a publié dans le bulletin une information très complète
sur les systèmes des chaires UNESCO dont l'objectif est
de promouvoir la coopération internationale en matière
de recherche et de formation dans des domaines interdisciplinaires
novateurs. Le réseau Culturelink a certainement beaucoup
de membres qui pourraient être intéressés
par ce système. Parmi les membres de Culturelink, le professeur
Edwin Harvey a déjà créé une chaire
UNESCO en Argentine sur les droits culturels et le professeur
Baidyanath Saraswati sur le développement culturel au Centre
national Indira Gandhi à Delhi. Finalement, je voudrais
vous rappeler les possibilités du programme de participation:
vous pourriez réfléchir sur des projets communs
à réaliser, en sollicitant l'aide financière
de l'UNESCO, par les commissions nationales pour l'UNESCO de vos
pays. Ce sont certaines suggestions que je soumets à votre
considération en vous invitant de les examiner avec d'autres
que vous pourriez formuler à partir de votre propre expérience
en vue de recherche des solutions les plus appropriées.
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